TempoVélo : tester pour mieux pérenniser

Les « coronapistes » pour répondre à l’urgence

À la suite du premier confinement entraîné par la pandémie de Covid-19, afin d’éviter la saturation des transports collectifs en temps de pandémie et de contrer un report massif de ceux-ci vers la voiture, de nouvelles sortes de pistes cyclables ont été inventées. Elles sont appelées familièrement les coronapistes ou aménagements cyclables provisoires. Leur principe consiste en la création de voies cyclables provisoires sur l’espace public. Elles peuvent être installées (ou désinstallées) en un temps très court. Afin de les déployer le plus rapidement possible, elles ont été créées généralement à l’aide de matériel de chantier et de peinture. Le concept, venu d’Amérique latine, a rapidement conquis l’Europe à la fin du printemps 2020. En France, de très nombreuses collectivités ont décidé de mettre en place ces aménagements. Des grandes villes bien sûr, notamment Paris, Lyon et Montpellier, mais aussi des localités plus petites, telles que Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire) ou Charleville-Mézières (Ardennes) pour ne citer qu’elles.

Piste cyclable temporaire à Montceau-les-Mines
Piste cyclable temporaire à Montceau-les-Mines (71).

Dans la Métropole grenobloise, de telles pistes cyclables ont été réalisées entre le 11 mai et mi-juillet 2020. Elles ont équipé des axes plus ou moins fréquentés, du centre-ville de Grenoble ou de villes de proche périphérie. Leur création a été accompagnée d’une identité visuelle et d’un nom : les « TempoVélo ». Toutes ont consisté en la conversion d’une voie de circulation automobile :

  • soit en transformant une double voie en bande cyclable de bonne largeur : c’est le cas sur le boulevard Clémenceau et les avenues Marcelin Berthelot et Marie Reynoard à Grenoble, l’avenue Gabriel Péri à Saint-Martin-d’Hères et le long de l’hôtel de ville à Seyssinet-Pariset ;
  • soit en convertissant l’une des voies existantes en piste bidirectionnelle, ce qui a eu lieu à Fontaine sur la rue de la Liberté, à Échirolles sur l’avenue Paul Vaillant Couturier et à Grenoble sur le quai Stéphane Jay, ou sur le chemin des Pépinières à Meylan.

Dans certains cas, cela s’est concrétisé par la fermeture d’un sens de circulation motorisée.

Piste cyclable à Fontaine, en Isère
TempoVélo de Fontaine, reliant le quai du Drac à la place de l’Hôtel de ville

Deux ans après, un bilan difficile à évaluer mais des besoins toujours présents

Malheureusement, deux ans plus tard, le bilan de ces aménagements n’est pas évident à dresser. En effet, bien que certaines soient toujours en place, la plupart ont été supprimées, avec tout aussi peu de concertation que pour leur mise en place, et sans publication d’un quelconque chiffrage de la fréquentation.

Cependant, les résultats de l’édition 2021 du baromètre des villes cyclables, une enquête de la Fédération des Usagers de la Bicyclette (FUB) visant à recueillir le ressenti des usagers du vélo en France, peuvent nous apporter des éléments de réponses. En effet, ceux-ci étaient invités à signaler sur une carte les sites à améliorer en priorité (points rouges), ainsi que les sites où une amélioration a été ressentie (points verts).

Ainsi, la TempoVélo installée sur les quais de la rive gauche de l’Isère à Grenoble avait été supprimée dès novembre 2020, sans bilan précis de l’expérimentation. Or, les résultats du baromètre 2021 affichent sur ces mêmes quais une importante densité de points rouges : il s’agit donc d’une attente encore importante des cyclistes de bénéficier d’un aménagement sécurisé sur ce secteur. Cette attente était par ailleurs déjà présente sur la cartographie de 2019.

Carte des points à améliorer et lieux ayant connu une amélioration depuis deux ans. La Tempovélo des quais, supprimée un an avant le début du Baromètre, apparaît très nettement.

Une situation similaire est observable sur la problématique de la traversée Grenoble-Fontaine. Entre septembre et octobre 2021, la ville de Grenoble a souhaité disposer une piste provisoire à la place de l’un des sens de circulation automobile du pont Esclangon dans l’attente de la fin des travaux sur le pont du Vercors, situé plus au nord, entraînant de nombreuses réactions politiques. Nous avions déjà écrit un article sur notre site à ce sujet. Or, la cartographie des points à améliorer en priorité fait apparaître un grand nombre de demandes sur ce pont. Ce projet de piste cyclable provisoire, dans la même veine que les Tempovélo, correspondait bel et bien à une forte attente des cyclistes.

Carte des points à améliorer en priorité sur le secteur du pont du Vercors.

Une méthode d’aménagement (trop ?) flexible

Ces pistes cyclables ont permis de démontrer la possibilité d’aménager l’espace public de manière rapide et souple. À ce titre, elles permettent de répondre à deux enjeux essentiels pour la pratique du vélo utilitaire :

  • d’une part, leur facilité de mise en œuvre est un atout pour une augmentation rapide de la part modale du vélo, qui rappelons-le est affirmée par l’exécutif métropolitain. En effet, elles offrent immédiatement aux cyclistes (et notamment celles et ceux qui débutent leur pratique) des espaces qui leur sont réservés, essentiels pour répondre au besoin de sécurité et de séparation du trafic motorisé.
  • d’autre part, leur flexibilité intrinsèque leur offre de nombreuses possibilités d’adaptation aux usages observés. Il est dans l’absolu possible de tester différentes configurations d’aménagements, et d’observer celle qui offre le moins de conflits d’usage entre les modes.

Dans la Métropole, cette flexibilité de mise en place a aussi été exploitée pour le démontage. Ainsi disparurent brutalement la tempovélo des quais rive gauche à Grenoble, celle de l’avenue Gabriel Péri à St-Martin-d’Hères, celle du Boulevard de l’Europe et des Frères Desaires à Seyssinet Pariset. Fontaine est toujours en sursis vêtue de jaune alors qu’ailleurs d’autres ont été pérennisées. À Grenoble, les boulevards Clémenceau et Jean Perrot, l’avenue Marcellin Berthelot ont ainsi connu des améliorations notables. 

Que les changements soient positifs ou négatifs du point de vue des déplacements doux, ils ne sont dus qu’à la volonté politique des pouvoirs en place.  Dans la métropole de l’innovation et de l’expérimentation, aucune variable quantifiable et suivie par des méthodes de mesures fiables n’est disponible pour évaluer l’impact réel de ces tests grandeur nature. Ainsi, il n’a pas été étudié de dispositif permettant de limiter la « congestion du trafic » prétendument observée après la mise en place de ceux-ci, comme par exemple des voies de stockage aux feux ou des changements de sens de circulation. Au lieu d’être adaptés progressivement et observés sur la durée, les aménagements provisoires du confinement (réalisés par le précédent mandat) ont été immédiatement jugés aptes ou démontés. 

Bande cyclable sur l'avenue Jean Perrot
Bande cyclable pérennisée sur l’avenue Jean Perrot

Expérimenter pour répondre plus vite aux besoins de la Métropole

Aujourd’hui les crises multiples ne font que s’amplifier : la crise énergétique, le déreglement climatique et la crise sanitaire toujours en fond de tableau. L’appel à la sobriété au niveau national est aussi revendiqué au niveau local.  Notre métropole a pourtant pris des engagements depuis de nombreuses années : à travers le PCAET, le PDU2030. Aujourd’hui la convention citoyenne pour le climat a été déclinée sur la métropole. Sur les 200 propositions formulées, 35 concernent la mobilité des personnes dont 12 concernent directement l’usage de la marche et du vélo. Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la ZFE impose de ne pas simplement considérer le changement de motorisation des véhicules mais la possibilité de se tourner vers les vélos lourds (pour les professionnels) ou de se tourner vers d’autres modes de transport que la voiture individuelle (transport en commun ou vélo) pour les particuliers. Néanmoins, il est difficile de  « réinterroger nos manières de se déplacer » lorsqu’on se sent limité à seulement certains itinéraires et secteurs par manque d’aménagements adéquats. 
Les cyclistes sont de plus en plus nombreux, et le potentiel de report modal est encore grand. Tester massivement la mise en place de larges pistes ou bandes cyclables pour sécuriser et améliorer cette pratique n’est plus seulement d’actualité, c’est une évidence sur tout le territoire français (en ruralité comme en zone dense).


Nous demandons donc aux communes, à la Métropole et au SMMAG de s’engager pour une nouvelle phase d’aménagements provisoires de type Tempovélo. Nous demandons à ce qu’un suivi rigoureux et non biaisé soit réalisé quant à leur impact sur au minimum 6 mois d’observations en service.  La cartographie des discontinuités cyclables et des carrefours dangereux issue du Baromètre des villes cyclables 2021 est bien entendu à leur disposition s’ils ne savent pas par où commencer.

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